« Le numérique change la fabrique de la décision politique »

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« Le numérique change la fabrique de la décision politique »

Cyril Lage, président de la civic-tech Cap Collectif

Propos recueillis par Valérie Urman.

Des dizaines de start-up civiques tentent d’inventer une démocratie numérique où fort peu d’élus s’aventurent pour l’instant. On peut le comprendre: dans ce foisonnement d’innovations, encore peu articulé, ils peinent à distinguer les pépites qui peuvent renouveler l’action publique. Cyril Lage est le président-fondateur de Cap Collectif. Cette civic-tech française – la plus avancée avec six applications (consultation, budget participatif, interpellation, appel à projets…) – a pris le leadership sur la co-construction des lois. A son actif: la plateforme « Parlement et Citoyens » a passé la proposition de Loi Biodiversité à la moulinette des avis citoyens avant le débat parlementaire; et la plateforme  «République numérique » a réuni 8000 contributions qui ont pesé sur le projet de loi numérique adopté cette année : une première pour un gouvernement français.

Cet automne, deux députés français, l’un LR et l’autre PS, ont proposé de rendre obligatoire la consultation citoyenne avant le vote de toute loi (*). La démocratie numérique est-elle déjà prête à s’imposer dans l’univers politique ?

Cyril Lage : Cela va dans le bon sens. Le numérique transforme la fabrique de la décision politique : cette idée, qui faisait rire tout le monde il y a cinq ans, est aujourd’hui prise au sérieux. Les choses bougent: nous avons ouvert la plateforme Parlement et citoyens en 2013, lancé la startup Cap Collectif en 2014, dès 2015 je me suis retrouvé à Matignon avec Manuel Valls pour mettre au point la consultation citoyenne sur la loi République Numérique, et aujourd’hui une proposition de loi demande de généraliser cette démarche.

Mais bien peu de collectivités et d’institutions passent à l’acte. Pourquoi?

CL : Les élus veulent bien consulter les citoyens s’ils gardent leur pouvoir de décision, et les citoyens veulent bien participer si leur opinion a réellement du poids. Le but est de  dépasser cet antagonisme, de trouver comment conduire ce changement. Il faut  que les élus gardent l’arbitrage final mais ils doivent tenir compte des avis, expliquer les décisions, apporter des réponses spécifiques aux propositions citoyennes, et se soumettre dans la durée à l’évaluation des politiques.

Est-ce ainsi qu’est envisagée la généralisation des consultations citoyennes ?

CL :  Pas si l’institution développe et anime elle-même l’outil de consultation, car cela risque de geler l’ambition et l’innovation sur un scénario pauvre : l’enjeu n’est pas simplement de collecter des avis et des votes sur internet. Il ne suffit de brancher le tuyau numérique et de regarder ce qui sort.

Comment dépasser la boite à idées ou l’agrégation d’avis individuels?

CL :  Pour Cap Collectif ce n’est que le premier niveau, à ce stade on obtient une photographie de l’opinion, on établit une cartographie de tous les arguments et du degré d’adhésion. Puis il faut réaliser la synthèse, répondre aux contributions. Ensuite, il faut arriver à l’étape du débat contradictoire, afin d’éviter que le décideur politique s’en tienne au simple arbitrage des opinions. Il faut donner le temps aux opinions de se rencontrer, de régler les tensions, d’établir un consensus.

Le numérique n’atteint pas des seuils massifs de consultations, est-ce un point faible?

CL :  Notre premier impératif a été de conduire la consultation en protégeant l’outil des trolls, de l’instrumentalisation par des groupes d’intérêts, et des dérives des échanges en ligne. Pour la consultation sur la loi « République Numérique », nous avons recueilli plus de 8000 contributions, il n’a fallu en modérer que 9. Le texte de loi final comporte 4 articles nouveaux et 80 modifications directement tirés de la consultation. C’est donc un outil d’intelligence collective: son intérêt n’est pas de mesurer des gros volumes d’opinions, c’est de brancher suffisamment de cerveaux pour que les politiques disposent de la diversité des solutions à un problème. Au delà d’une certaine masse, la diversité des solutions est la même, que l’on consulte 8000 personnes ou 80 millions.

Il faut pourtant mobiliser au delà des geeks et des militants, et faire émerger une compétence politique collective. Alors?  

CL :  Nous n’avons jamais considéré que le numérique devait remplacer les méthodes de délibération en présentiel  – comme le jury populaire, l’assemblée citoyenne, la conférence de consensus… Notre démarche, depuis le début, articule un dispositif d’ensemble. Nous pouvons utiliser la plateforme avec un large panel représentatif, pour soumettre la diversité des avis et des connaissances ainsi recueillis à un jury citoyen. C’est un dispositif que nous expérimentons avec le ministère de la Culture pour imaginer le musée de demain.

Dans le foisonnement de start up civiques, combien parviendront à convaincre et à durer?

CL :  Je trouve le bouillonnement actuel très sain et positif, bien sûr c’est un écosystème inégal, fragile. Comme dans n’importe quel domaine, 80% risquent de disparaitre. Mais nos démocraties n’ont plus d’autre choix que de transformer leur système de décision. Pour cela les réponses des institutions ne suffiront pas. Elles devront faire appel à l’expertise des civic tech, qu’elles n’ont pas.

 

*Tous les citoyens peuvent apporter leur contribution à cette proposition de loi, en participant jusqu’au 17 janvier à la consultation organisée sur la plateforme numérique « Parlement et Citoyens ».

 

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