Les absents ont-ils toujours tort ?

Damien Monnerie (au centre) animait la table ronde "Organiser l'expression des publics absents autour d'un débat citoyen sur le PGO"

Les principaux enjeux de ce 4eme sommet mondial du Partenariat pour un Gouvernement Ouvert sont affichés : améliorer la transparence de l’action publique, encourager le développement durable et l’écologie, et enfin promouvoir les outils numériques pour rénover la démocratie. Seulement, si ces thématiques représentent des enjeux majeurs pour la société de demain, beaucoup de citoyens sont très éloignés de ces préoccupations. Qu’elles soient défavorisées ou marginalisées, nombreuses sont les personnes absentes du débat. Avec son association Innovons pour la Citoyenneté sur Internet, Damien Monnerie s’est saisi de cette problématique et entend offrir les clefs nécessaires pour que ces différents publics s’approprient à leur tour les enjeux du PGO.

Vous parlez de « publics absents du débat autour du PGO », pouvez-vous identifier ces publics ?

C’est simple, ce sont tous ceux qui ne sont pas là (rires). Si jamais on avait pas été là pour suggérer aux personnes présentes aujourd’hui de venir participer au PGO, elles n’en auraient sans doute jamais entendu parler. C’est très difficile de qualifier et quantifier qui n’est pas là, c’est plus simple de regarder qui est là. Le PGO passe en dessous des radars de beaucoup de gens. Même parmi les membres de l’association, si je n’avais pas proposé de monter ce projet lié à notre projet associatif, je pense qu’ils n’en auraient jamais entendu parler.

Pourquoi sont-ils en marge du débat ?

L’une des raisons, c’est qu’il y a de la défiance vis à vis de la politique, de ceux qui portent les institutions. Ils se sont fait avoir par des promesses électorales une fois, deux fois. On les a utilisé pour valoriser un mouvement politique. On descend dans la cité pour faire une photo, prononcer un discours et puis après plus rien. A coté de ça, leur environnement de vie se dégrade, les logements deviennent insalubres et les bailleurs sociaux ne font rien ou presque. En somme c’est « débrouillez-vous et de temps en temps on vient vous voir pour gagner quelques voix » et cela ne les intéresse plus.

Qu’est ce qui vous a motivé lorsque vous avez décidé de vous investir dans ce projet ?

Trois choses. La première : mon envie de me réinvestir dans un projet personnel qui me semblait intéressant. J’étais directeur marketing pendant 8 ans et ce travail était une source de stress. Je me suis donc demandé : est-ce que je me mets du stress pour un patron ou bien pour moi-même ? La deuxième raison, ce sont mes enfants : je me suis posé la question du monde que j’allais leur laisser. Qu’est ce que je pouvais faire de plus intéressant que ce que je faisais, à l’époque dans mon métier et qui pourrait leur permettre d’améliorer leur avenir ou même de les guider vers des choix personnels, politiques ou même professionnels. Et enfin le déclic, ça a été les élections européennes en 2010, durant lesquelles il y a eut un taux d’abstention énorme. Je me suis alors demandé pourquoi les gens ne votaient pas. Est-ce qu’ils étaient mal informés ? Ma réflexion a donc été de me dire que le numérique pouvait représenter un outil efficace pour amener les gens qui ne vont pas voter à s’intéresser numériquement à ce qui se décide politiquement.

Comment faire pour concerner ces publics autour des thématiques du PGO, et notamment pour qu’ils redeviennent acteurs dans le débat démocratique ?

Faire ce qu’on a fait (rires). Les sujets du PGO sont partiels. On ne traite pas de tous les sujets qui peuvent intéresser l’ensemble de la population. Par exemple, on traite peu de la santé, de l’emploi ou de logement… des sujets qui intéressent vraiment une large partie du public. Parler de gouvernance ouverte, utiliser le numérique et dans le même temps user du 49.3… Ces gens regardent la télévision comme tout le monde et cette proposition de gouvernance, par rapport à la réalité, n’a pas de visibilité concrète. Est-ce que ça va réellement changer les choses ? Si on veut vraiment trouver des solutions, on pourrait par exemple organiser des micro-PGO toute l’année, avec des sujets sur lesquels les gens ont réellement envie de s’investir. Ensuite, on voit comment l’information peut remonter jusqu’au gouvernement pour qu’un travail qui vient de la base soit traité avec de véritables engagements au bout.

Pouvez-vous nous présenter les moyens que vous avez mis en place pour y parvenir et réduire ces inégalités ?

On travaille à 90% du temps sur des formats d’atelier. On privilégie les partenaires qui ont une réelle volonté d’inclusion avec leur public. On les rencontre et on imagine quels pourraient-être les ateliers sur lesquels on peut travailler conjointement. Et puis on essaie de trouver des financement via les appels à projets, par des fonds publics ou privés. Tout cela dans une démarche humble, on met nos compétences respectives en commun et on voit ce que l’on peut s’apporter mutuellement, pour avancer et franchir les étapes.

Vous travaillez en étroite collaboration avec le tissu associatif, quel est leur rôle dans votre projet ?

C’est un partenaire important pour nous, qui nous apporte des publics, des questionnements, qui nous poussent dans notre réflexion pour définir nos axes de travail. Nous on se demande : comment on peut structurer le numérique pour valoriser leur travail et amener d’autres publics à s’intéresser à eux. Le monde associatif est un puissant vivier de gens qui se positionnent entre les institutions et le public. Ils apportent du lien social, une dynamique locale. Leur rôle est crucial pour la vivacité de notre démocratie. Même s’ils ne sont pas tous dans cette logique d’inclusion, il y a énormément d’associations qui ont à cœur de retisser du lien entre les Hommes.

Finalement, ces absents représentent peut-être les publics qui ont le plus à gagner avec l’OGP, non ?

Oui. On a établi différentes problématiques lors de cet OGP : comment on implique les gens dans le quotidien de leur ville, comment on améliore le dispositif de participation, comment on traite la e-administration pour qu’ils puissent accéder à leurs droits plus facilement, comment on traite l’écologie de façon globale et non plus juste localement comme le faisait remarquer l’un de nos participants… Mais globalement, je pense que tout le monde a besoin de définir ses idées sur ces sujets là, les cadres comme pour les ouvriers. La cohésion de la société fait que les gens vont se parler, échanger et construire un projet collectif. Ces enjeux nous concernent tous. Notre intérêt, c’est que chacun s’y mette. Le problème aujourd’hui, c’est qu’il n’y a que les personnes qui ont une certaine éducation ou une certaine capacité d’accès à l’information qui s’investissent sur ces sujets-là. Il y a toujours une forme de fracture sociale. Ces publics ne s’investissent pas encore sur ces problématiques parce qu’ils ont d’autres priorités comme le logement, la santé, le travail… Ils n’ont pas les mêmes urgences.

Pour terminer, revenons sur les critiques émises par certaines associations avant l’ouverture du sommet : pensez-vous que les pouvoirs publics se saisiront véritablement de ces questions ou bien est-ce que c’est juste de la communication ?

Je pense qu’il y a encore une grosse part de communication. S’il n’y a pas un contre-pouvoir populaire fort, les élus ne changeront pas. Cela permet aux institutions de s’acculturer aux dispositifs participatifs, de nous laisser débattre entre nous et puis, finalement, de laisser le temps passer pour que rien ne change. L’Homme reste l’Homme. Il y a évidemment des élus locaux et des agents territoriaux qui essaient sincèrement de créer de l’inclusion. Mais à notre niveau, on se fait tous un peu instrumentaliser. Même s’ils y mettent du leur, les consultants vivent des commandes publiques. Attention, je ne crache pas dans la soupe, les prestations représentent quasi 40% de notre budget ! Mais est-ce cela se ressent dans le débat public… je ne suis pas sûr que les effets soient massivement visibles. En discutant avec Armel Le Coz (co-fondateur du collectif Démocratie Ouverte), on se demandait comment on pouvait unifier tous ces mouvements populaires. Tous prêchent le rassemblement mais chacun dégaine  ses initiatives dans son coin. Comment faire pour peser réellement et faire avancer les choses ? Le débat reste ouvert. Il faut encore expérimenter mais il est nécessaire de trouver rapidement des schémas pour passer à un déploiement sur tout le territoire.

 

 

 

 

 

Laissez un commentaire

Your email address will not be published. Required fields are marked *